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Réponse au HCP au sujet de la mise à disposition au public de ses microdonnées

Suite à la publication des microdonnées du HCP le 30 mai 2019, l’association Tafra a adressé un courrier de félicitations à Monsieur le Haut-Commissaire au Plan daté du 3 juin 2019, notant que sa démarche constitue “un pas vers la consolidation de l’État de droit, à travers la mise en œuvre d’une obligation constitutionnelle, de nature à encourager d’autres institutions à s’engager dans des initiatives similaires. Elle porte le potentiel d’une transformation des rapports entre l’État et les citoyens, dans le sens d’une confiance accrue”.

Ledit courrier a également appelé Monsieur le Haut-Commissaire au Plan à “[approfondir] la démarche entreprise. Tout en gardant conscience des nécessités entraînées par le principe du respect des données personnelles, il s’agit d’élargir au maximum l’accès aux données contenues dans les enquêtes du HCP (telles que celles portant sur le chômage et l’industrie), avec des identifiants géographiques précis, comme par exemple la commune, voire l’arrondissement”.

Lundi 13 avril 2020, l’association Tafra a initié une lettre ouverte, portée par 68 universitaires, en plus de plusieurs acteurs de la société civile et adressée à Monsieur Ahmed Lahlimi Alami, Haut Commissaire au Plan, l’interpellant sur l’accès aux données publiques dont dispose le HCP. A la date du 14 avril au soir, celle-ci a reçu le soutien de 249 signataires. Parmi eux, on dénombre 101 enseignant(e)s chercheur(e)s (soit 41%), issus de 23 universités et centres de recherche marocains et 22 à l’étranger. De plus, parmi les signataires figurent également 69 salarié(e)s du secteur privé (28%) et 30 membres de la société civile (12%).

Cette lettre ouverte a donné lieu à réponse du Haut-Commissariat au Plan, au lendemain de sa publication. Dans son communiqué, le HCP indique que les données auxquelles l’accès est demandé seraient d’ores et déjà disponibles en ligne, depuis mai 2019, dans les formats et selon les exigences de qualité attendues.

Ce communiqué soulève de nombreuses questions en évacuant les limites des données publiées par le HCP. 

En effet, la réponse du HCP s’inscrit dans le cadre d’une réflexion à laquelle participent de nombreux acteurs : comment concilier le droit d’accès à l’information avec la nécessaire protection des données personnelles ? A cette question, nombreux sont les pays à avoir développé une doctrine équilibrée permettant de trouver une position adéquate. 

En l’espèce, les microdonnées communiquées par le HCP ne permettent pas de procéder à des analyses fines, notamment dans le domaine de la prévention des épidémies, alors qu’elles sont accessibles dans de nombreux pays. Les débats actuels sur les possibilités de déconfinement sont impossibles du fait d’une absence de visibilité territoriale sur les stratégies à mener. Or, c’est bien la mobilisation de l’ensemble des spécialistes dans le cadre d’un débat scientifique ouvert qui permet les politiques publiques les plus efficaces. 

Il convient de donner un exemple précis de cette limite. Les microdonnées du RGPH de 2014, publiées cinq ans après le recensement, représentent un échantillon de 10% au niveau de la province/préfecture. Prenons l’exemple de la préfecture de Casablanca. Le fichier “Individu” du HCP comporte 333 851 répondants, sur un territoire de 189,14 km². Or, si l’on veut étudier les poches de vulnérabilité socio-économique et épidémiologique, il est impossible de le faire à cette échelle, où aucun code géographique ne distingue un habitant de Gauthier de celui de Hay Hassani.

Pour poursuivre cet exemple, il existe des modalités connues et largement pratiquées pour contourner cette difficulté, dans le respect des dispositions légales en vigueur :

  1. Toutes les microdonnées ne concernent pas des individus. De nombreuses variables sur les ménages fournissent des informations précieuses pour notre situation de crise (par exemple, la densité du ménage, les niveaux et les type d’équipements qui sont des proxys pour le niveau de richesse). L’INSEE en offre un exemple, où des microdonnées désagrégées et anonymisées sur les logements sont librement accessibles en téléchargement, au niveau le plus fin (“IRIS”, soit l’unité de base de  2000 habitants). D’autre part, l’agrégation des données individuelles à différents niveaux, comme le fait le HCP pour les communes par exemple, ne menace en aucun cas la protection des données personnelles. C’est le cas pour les communes, c’est également le cas pour les îlots. Ces fichiers peuvent être facilement générés, mais pour cela, il faut définir une procédure claire entre le HCP et les chercheur(e)s.
  2. La clarification officielle des procédures d’accès aux données brutes, à distance ou sur site sécurisé, pour les chercheur(e)s agréé(e)s de l’Université. Ces procédures sont pratiquées par tous les producteurs de statistiques publiques de qualité, et permettent de travailler sur des données non accessibles au grand public. De nombreux exemples de procédures administratives existent, comme celui du Census Bureau américain

Par ailleurs, Tafra se tient à la disposition du HCP pour fournir bénévolement des informations techniques, benchmarks des meilleures pratiques, ainsi que la constitution d’un groupe de chercheurs marocains, résidant au pays ou à l’étranger, en attente de ces données.

En effet, dans les jours et les semaines qui suivront, Tafra entend poursuivre ses efforts de collecte d’information auprès des usagers des données du HCP, afin d’identifier, pour chaque enquête réalisée par celui-ci, les besoins et les précisions attendues par la diversité des signataires. A cet effet, l’association invite les signataires et toute personne en attente de données spécifiques à remplir le questionnaire “Identification des besoins”.

Ainsi, Tafra note que le HCP a accompli des efforts indéniables pour se mettre à niveau en termes de droit d’accès à l’information, mais que les résultats demeurent insuffisants, notamment au regard des besoins urgents nés de la crise sanitaire. La démarche initiée par Tafra entend encourager ces efforts et participer à résoudre les difficultés rencontrées, afin que les universitaires marocains puissent enfin accéder à la même qualité de données que leurs homologues étrangers. Or, il existe un large consensus sur les limites des données actuelles. Il appartient au HCP, détenteur de cette obligation, d’y répondre en prenant en compte l’urgence née de la crise, afin de clarifier ses positions sur chacun des points mentionnés :

  1. La définition de la procédure d’accès aux microdonnées brutes pour les chercheurs identifiés, à distance et sur site. Il est capital de définir des modalités d’accès à distance, notamment dans la période actuelle, et sur site pour l’après-crise. 
  2. L’accès aux données agrégées du RGPH au niveau de l’îlot, avec la cartographie correspondante. Notre demande détaillée a été réitérée le 15 avril 2020.