Les députés sont censés contrôler le travail du gouvernement. Pour ce faire, la Constitution de 2011 met à leur disposition une série de mécanismes ; entre autres, la motion de censure, l’interpellation du gouvernement, et les questions écrites et orales, qui permettent d’interpeller le gouvernement sur des points précis. Les députés marocains utilisent rarement la motion de censure et l’interpellation du gouvernement. En revanche, ils utilisent très souvent les questions parlementaires, qui permettent d’interroger directement le pouvoir exécutif afin d’obtenir des informations sur un aspect de l’action gouvernementale, des éclaircissements sur des points particuliers de la législation, ou de relayer les problèmes de leur circonscription. D’ailleurs, une séance par semaine est impérativement réservée aux questions parlementaires et aux réponses du gouvernement. Comprendre les raisons qui poussent les députés à interroger le gouvernement est de la première importance, car cela permet de mieux comprendre comment les députés assurent leur fonction de contrôle.
Dans le cadre de son mémoire de master en sciences politiques à l’Université Mohamed V, Othmane Bentaouzer, chargé de projet à Tafra, a collecté depuis le site du Parlement l’ensemble des questions écrites et orales adressées par les membres de la Chambre des représentants au gouvernement durant la législature 2011-2016, soit près de 40 000 questions. Une première lecture montre que tous les députés n’exercent pas leur fonction de contrôle de la même manière. Alors que Mokhtar Rachdi, député USFP à la circonscription de Jerada a posé plus de 2 100 questions en 5 ans, Yasmina Baddou, ancienne ministre de la Santé et députée Istiqlal de la circonscription d’Anfa à Casablanca n’a posé qu’une seule question !
De manière similaire, le Parti de la Justice et du Développement (PJD) est le parti qui a le plus souvent recours aux questions parlementaires avec environ 25 000 questions, soit plus de la moitié de celles qui ont été posées au cours de la législature. Suivi par l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) dont les députés ont posé près de 12 000 questions, soit 25% du total des questions adressées au gouvernement. Les autres partis siégeant à la Chambre des représentants ont chacun posé moins de 5 000 questions.
Le ministère de l’Intérieur, majoritairement questionné par les députés
Mais qui choisit-on interpeller à travers ce mécanisme ? Les membres de la Chambre des représentants ont adressé des questions à tous les ministères, mais c’est celui de l’Intérieur qui est le plus fréquemment interrogé avec 8 265 questions, soit 17,5% des questions reçues ; suivi du ministère de l’Education nationale avec 4 176 questions (9%), puis du ministère de l’Equipement avec 4 079 questions (8,6%). Reste que tous les ministères ne répondent pas à la même fréquence. Parmi les dix ministères ayant reçu le plus de questions (soit 71% des questions totales), celui de l’Intérieur affiche un taux de réponse de 29,6% soit le taux le plus faible. A l’inverse, avec seulement 7,3% des questions qui lui sont adressées, le ministère de la Santé a répondu à près de 80% d’entre elles.
L’on en retient que l’efficacité du contrôle parlementaire varie en fonction des ministères. Il est par exemple plus facile pour les membres de la Chambre des représentants d’obtenir des informations de la part du ministère de la Santé ou de celui de la Justice que du ministère de l’Intérieur. Pourtant, la loi oblige l’ensemble des ministères à répondre aux questions qu’ils reçoivent dans les 20 jours qui suivent leur dépôt au bureau de la Chambre des représentants. En l’absence de réponse, le député peut demander l’inscription de sa question à l’ordre du jour de la prochaine séance et obliger le ministère concerné à répondre. Cette procédure est rarement utilisée. Pourquoi certains ministères répondent plus que d’autres ? Le manque de volonté politique ne peut pas être la seule explication pointée du doigt. Une deuxième explication pourrait nous apprendre que l’absence de réponse est simplement due au nombre excessif des questions reçues : plus le nombre de questions augmente, plus le délai de réponse s’allonge.
Les partis administratifs moins dynamiques que les autres
L’examen du nombre moyen de questions par député révèle des variations importantes. Avec seulement 44 députés ayant siégé au cours de la législature 2011-2016, l’USFP est pourtant le parti le plus actif au sein de la Première chambre, avec 257 questions par député. Il est suivi par le PJD dont les députés ont en moyenne posé 208 questions, puis par le Parti du Progrès et du Socialisme (PPS) avec un ratio d’environ 115 questions par député. Les 59 élus du Rassemblement National des Indépendants n’ont en moyenne posé que 18,3 questions, ce qui fait du RNI le parti le moins actif au sein de la chambre basse. Les députés du PAM, du MP et de l’UC font à peine mieux avec 30 questions par membre.
Ces différences entre partis rappellent l’une des plus anciennes distinctions de l’histoire politique du Maroc : d’un côté, les partis administratifs (MP, RNI, UC, PAM) dont la formation a largement été encouragée par le Palais ; de l’autre, les partis du Mouvement national (PI, USFP, PPS) issus de la lutte pour l’Indépendance, ainsi que le PJD. Les partis administratifs posent moins de questions que les autres. Un membre d’un parti administratif pose 26,2 questions en moyenne, contre 165 questions pour un membre d’un parti du Mouvement national ou du PJD.
Étonnamment, cette distinction entre partis constitue un élément plus déterminant de la production des questions parlementaires que le clivage opposition/majorité. On pourrait penser que les partis de l’opposition exercent davantage de pression sur le gouvernement que les partis de la majorité. Or, il apparaît au contraire que les parlementaires de la majorité posent un peu plus de questions que ceux de l’opposition (en moyenne, 123 questions pour un député de la majorité contre 78 pour un député de l’opposition).
Mot de Tafra
Grâce à la simplicité de leur procédure, les questions parlementaires représentent l’outil dont les membres de la Chambre des représentants usent le plus fréquemment. L’on aperçoit déjà quelques différences systématiques. Certains ministères sont beaucoup plus interrogés que d’autres, et varient dans leur taux de réponse. Par ailleurs, les partis du mouvement national et le PJD posent beaucoup plus de questions que les partis administratifs.
Au vu de leur importance cruciale, l’usage des questions parlementaires mérite une analyse plus approfondie. L’étude de ces questions permet de comprendre les motivations, les orientations et les préférences des députés. L’usage des questions reflète des stratégies déterminées par un certain nombre d’enjeux. On peut ainsi imaginer que les députés issus de circonscriptions posant davantage de problèmes économiques et sociaux posent plus de questions que les autres, afin de mieux défendre les intérêts de leurs électeurs. Ainsi, en posant des questions à l’Assemblée, un député peut s’y forger l’image de “défenseur” des intérêts de ses électeurs. Image qui pourrait lui être bénéfique lors des différentes échéances électorales.
Tafra reviendra sur ces enjeux de manière plus approfondie lors d’un prochain blogpost.