Cet article d’Erin York fait suite à deux articles de Othmane Bentaouzer sur les questions parlementaires. Le premier s’interrogeait sur l’impact des distinctions partisanes sur cette activité, le deuxième sur l’impact d’autres facteurs, comme le sexe du député ou sa distance par rapport à Rabat.
Que contiennent les questions parlementaires posées par les députés ? Les électeurs y attachent-ils de l’importance ? En analysant les questions écrites des parlementaires lors de la législature 2011-2016, force est de constater que celles-ci constituent une forme importante de service aux électeurs. Interrogés sur le sujet, les députés déclarent d’ailleurs utiliser ces questions pour obtenir des informations sur leurs circonscriptions, pour faire pression sur les administrations quant à des problèmes locaux, et, parfois, pour aborder des problèmes individuels rencontrés par les citoyens.
Les données récoltées lors de nos interviews avec les députés corroborent d’ailleurs l’analyse quantitative de leurs questions. En d’autres termes, poser des questions au parlement est la preuve que ceux qui les formulent font des efforts pour leurs électeurs.
Mais les citoyens attachent-ils de l’importance à ces efforts ? Pour répondre à cette question, nous nous sommes demandé si cette activité parlementaire s’était traduite par une récompense électorale lors des élections suivantes, à savoir celles de 2016. Nous avons ainsi observé que les partis avaient obtenus des scores plus élevés dans les circonscriptions dans lesquelles leurs députés ont posé plus de questions.
Que demandent les députés dans leurs questions parlementaires ?
Plus de 27 000 questions ont été posées lors de la législature 2011-2016, beaucoup trop pour les coder à la main. A la place, nous avons utilisé des méthodes automatisées pour analyser l’objet de ces questions. Nous avons recherché des indicateurs de références géographiques, locales ou nationales, et des cas de défense des intérêts individuels de citoyens (par exemple, une question a été posée sur le « changement de pension de Madame X »).
Pour identifier ces références, nous avons utilisé une approche fondée sur un dictionnaire. Plus précisément, nous avons défini un certain nombre de catégories, auxquelles nous avons associé des mots. Nos classifications contiennent ainsi :
- Les différents niveaux administratifs, du national à la commune — la catégorie « régions » contient, par exemple, les mots « Fès-Meknès », « Oriental », etc.
- Les références géographiques, englobant toutes les unités géographiques et les orthographes ou dénominations alternatives
- Les titres honorifiques, avec des mots comme « Madame » ou « Monsieur », pour isoler les cas de de défense d’intérêts de particuliers.
Une inspection rapide des catégories les plus mentionnées dans les questions révèle des tendances intéressantes (Figure 1). Les références géographiques sont très communes et apparaissent dans 77% des questions. Elles varient toutefois en fonction du niveau administratif : les références à des niveaux élevés (le pays ou la région) sont très rares. Aussi, 60% des questions font référence à une préfecture ou une province. Cela montre que les questions sont des outils importants pour aborder les problèmes de la circonscription, puisque ces niveaux administratifs sont ceux qui épousent au plus près les frontières de la circonscription. Beaucoup de questions abordent aussi les problèmes des communes.
Seules 3% des questions font référence à des problèmes d’ordre individuel. Il faut noter toutefois que notre approche sous-estime probablement le nombre de questions qui les abordent. En effet, ces questions ne mentionnent pas toujours explicitement le nom de la personne concernée. Aussi, le faible nombre de questions liées à des intérêts personnels n’est peut-être pas surprenant. Le parlement est un organe national, et les parlementaires représentent des dizaines, voire des centaines de milliers de citoyens. Les conseils communaux sont certainement des forums plus appropriés pour aborder les problèmes individuels.
Efforts locaux et résultats électoraux
Nous nous sommes ensuite demandé si cette forme d’activité électorale est associée à davantage de soutien électoral. Vu que les députés ont recours aux questions pour aborder les problèmes de leurs circonscriptions, il est possible que les politiciens les plus compétents aient davantage recours aux questions parlementaires, et que les électeurs les récompensent pour ce comportement. Etant donné que le Maroc utilise le scrutin de liste, nous avons examiné cette relation au niveau des partis. Pour cela, nous avons utilisé les résultats des élections législatives 2016, combinées au nombre de questions posées par les députés d’un parti dans une circonscription. Vu que les députés les plus populaires posent davantage de questions, nous avons observé la différence entre les scores obtenus par le parti entre 2011 et 2016, au lieu de regarder seulement les scores de 2016.
La Figure 2 montre que plus un parti pose de questions, plus son score augmente, relativement à 2011. Poser dix fois plus de questions est associé, en moyenne, à une augmentation du score d’un à deux points de pourcentage. L’effet est important : lors des élections de 2016, un changement d’un point de pourcentage dans les scores aurait changé la liste des vainqueurs dans 25% des circonscriptions.
Ces résultats confirment que les questions parlementaires sont un outil important pour les députés : il leur permet de représenter leur circonscription et d’aborder des questions locales. Les résultats montrent aussi que les élus sont responsables devant les urnes : les électeurs préfèrent les partis qui sont actifs sur les bancs du parlement et qui agissent pour défendre leurs territoires.