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Azzedine Akesbi – Une loi d’accès à l’information, pourquoi faire ?

Professeur d’économie, Azeddine Akesbi est consultant, expert de l’Open budget, spécialiste en éducation, économie de l’emploi et marché du travail, et formation professionnelle.
Membre de plusieurs associations, il a longtemps occupé le poste de Secrétaire général de Transparency Maroc et à ce titre, participé au lancement du débat national sur le Droit d’accès à l’information, dès 2010 au Maroc.
Dans cette interview, il présente l’étude qu’il a menée pour la fondation Heinrich Böll (Rabat) sur « Les enjeux politiques et sociaux autour de l’accès à l’information : facteurs de progrès et de résistances ».

Pourquoi une loi d’accès à l’information et dans quel contexte son besoin est-il apparu ?

Cette loi a pris du temps pour être adoptée. De 2012 à 2018, il y a eu plusieurs versions et c’est une loi qui a été, disons, incluse dans l’article 27 de la Constitution, qui a reconnu le principe au citoyen marocain d’accéder à l’information avec quelques délimitations, notamment celles qui concernent la défense nationale, la sécurité nationale et l’information personnelle. Mais effectivement, il est prévu d’avoir une loi pour donner les détails ou les modalités d’application de ce principe.

Maintenant, la loi vient d’être adoptée et c’est une loi qui ne correspond pas tout à fait aux attentes, en tous cas des acteurs de la société civile. C’est une loi, bien évidemment, qui a des côtés positifs, on peut les mentionner : elle reconnait globalement le droit d’accès à l’information aux citoyens et aussi aux étrangers résidants en situation régulière au Maroc. Elle reconnait aussi le droit d’avoir une information proactive de la part des administrations et du gouvernement ; elle liste quelques domaines où l’information doit être accessible de manière automatique. Voilà globalement les aspects positifs, qu’on pourrait considérer comme positifs de cette loi.

Maintenant, je pense qu’il faut souligner surtout beaucoup de limitations. Cette loi est en dessous de ce qui est prévu dans l’article 27, elle est beaucoup plus restrictive, elle introduit énormément d’exceptions, des exceptions absolues aussi bien dans les domaines mentionnés par l’article 27 que d’autres qui ne sont pas mentionnés. Par exemple, ne pas donner l’information dans le domaine économique et financier, monétaire et beaucoup d’autres. Il y a toute une liste d’exceptions, enfin, qui sont exclues de l’accès à l’information et qui ne sont pas dans l’article 27.

Mais au-delà de tout ça, il y beaucoup de délais pour accéder à l’information. Il y a énormément de pouvoir discrétionnaire entre les mains de l’administration pour donner ou ne pas donner l’information et le plus préoccupant, c’est qu’on a introduit un article qui fait que si quelqu’un utilise l’information qu’il reçoit et qu’elle est jugée par l’administration comme étant erronée, ils menacent d’utiliser l’article 362 du code pénal pour poursuivre la personne. Ce qui, en fait, correspond à un recul, même par rapport à la pratique actuelle.

De même, il y a également l’absence d’une commission. Il y a une commission mais extrêmement faible, elle n’a pas les attributions, l’indépendance pour garantir l’application de ce droit d’accès à l’information. Le président de la commission est le président de l’instance de protection des données personnelles. L’administration qui doit gérer les recours, elle, relève de cette instance. Globalement, c’est l’administration qui contrôle, enfin, l’administration au sens large et l’exécutif au sens large qui contrôlent la possibilité d’appliquer ou non, même le minimum qui est prévu dans cette loi.

Donc voilà, c’est une déception pour ceux qui ont lutté pour l’accès à l’information, c’est en-deçà des standards internationaux, au point que certains, en tout cas ceux qui ont suivi un peu ce projet, considèrent qu’il aurait été mieux de garder uniquement l’article 27 de la constitution.

Quelles sont les possibilités pour les citoyens ou les acteurs engagés de faire évoluer ce texte ou en tout cas sa pratique ?

Je pense que, à court terme, faire évoluer ce texte n’est pas envisageable. Tout simplement parce que tout ce qui pouvait se faire a été fait au niveau du plaidoyer auprès des parlementaires, au niveau de différents acteurs, la société civile s’est énormément investie, elle a été, disons, la première à étudier, à faire des propositions etc. mais ils se sont rendu compte qu’il n’y a pas de volonté politique d’aller dans ce sens.

D’ailleurs, c’est pour cela qu’il y a eu une première version assez avancée et ensuite il y a eu un recul. C’est que l’accès à l’information dérange au Maroc, véritablement. Il y a des domaines où il y a énormément d’opacité et l’étude a montré un certain nombre de cas où, soit des journalistes, soit des acteurs de la société civile ont été sanctionnés ou poursuivis etc., tout simplement parce qu’ils voulaient aller dans le sens d’un peu plus de transparence dans la gestion des affaires publiques. Mais peut-être il faut que la société civile utilise le peu qui est dans la loi, notamment travailler sur ce qui devrait être publié de manière proactive et pousser l’administration à élaborer des plans de publication réguliers qui touchent le maximum de domaines où il y a des choses à divulguer pour l’intérêt du public.

Il y a un point, peut être aussi positif, c’était un amendement introduit par la deuxième chambre, la publication des résultats des élections, ce qui ne se faisait pas de tout alors que c’est anormal. Que les citoyens, les partis politiques connaissent la carte politique réelle dans le détail, c’est quelque chose de tout à fait normal, c’est quelque chose qui pourrait être considéré comme positif.

 La loi évoque la protection des lanceurs d’alertes, qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est évoqué, mais en même temps on dit que les gens qui donnent une information peuvent être poursuivis. Il y a les deux, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup d’ambiguïté par rapport à ça, alors qu’on aurait pu être clairement explicite en disant : « tous les individus qui diffusent une information qui s’avère pour l’intérêt général, sont protégés de telle ou telle manière ».
On n’avait pas besoin d’utiliser le code pénal dans le cadre d’une loi d’accès à l’information, sa place est ailleurs tout simplement. Mais on a, à mon avis, introduit cela pour introduire de l’incertitude, de l’intimidation et éventuellement la menace réelle si on juge qu’une personne a diffusé une information qui ne plait pas au pouvoir, tout simplement.

Je pense qu’en matière d’accès à l’information, c’est un long parcours, c’est une bataille à long/moyen terme. Ce qu’il faut dire, c’est qu’il y a une sorte de déconnexion entre les tendances d’évolution lourdes, au niveau de l’environnement technologique, au niveau de la pratique des gens, au niveau des réseaux sociaux. Aux niveaux national et international, on va de plus en plus vers des situations d’Open Data, d’accès à l’information publique de manière générale etc. Alors qu’on est beaucoup plus frileux, on retient beaucoup plus l’information au Maroc et le comportement des acteurs publics en particulier ne sont pas très ouverts. Donc il y a un décalage qui crée une incohérence et des tensions pour l’avenir. On ne peut pas, à mon avis, cacher l’information facilement dans le futur, dans les années qui viennent.

Malgré ce que dit le gouvernement à propos de l’initiative Open Government. Pour que le Maroc soit qualifié, ils avaient besoin d’un point pour y accéder. Ils l’ont eu avec la loi d’accès à l’information, quelle que soit la nature de la loi. Mais le fait qu’ils soient dans ce club-là, en principe, ils devraient montrer de l’ouverture en matière d’accès à l’information pour se maintenir dans ce club.